Saturday, January 12, 2008

DISCOURS DU VICE-PRESIDENT AZARIAS RUBERWA A LA CONFERENCE SUR LA PAIX , LA SECURITE ET LE DEVELOPPEMENT DANS LE KIVU

COMMUNICATION DE : SON EXCELLENCE MAITRE AZARIAS RUBERWA,
VICE-PRESIDENT DE LA REPUBLIQUE HONORAIRE












THEMATIQUE : « SECURITE »


SUJET : « La sécurité comme facteur essentiel de la construction d’une paix durable et du développement au Kivu (RDC) »

Monsieur le Président du Bureau de la Conférence sur la Paix,la Sécurité et le Développement dans les provinces du Nord-Kivu et Sud-Kivu ;
Monsieur le président de l’Assemblée Nationale ;
Distingués Invités ;
Mesdames et Messieurs,

Je considère comme un privilège le fait pour moi de m’adresser aux membres de cette auguste assemblée dans un contexte historique où, nous tous, compatriotes originaires de deux provinces du Kivu avons à répondre à un rendez-vous avec l’histoire.

Ce rendez-vous est celui de construire ensemble une paix,la sécurité et le développement c’est-à-dire dégager notre responsabilité dans la recherche de la paix, à côté de la responsabilité première de l’Etat et des autres acteurs non étatiques avec le soutien combien important de la communauté internationale.

J’interviens donc en ma qualité de personnalité ayant suivi de près le processus de paix dans notre pays ,ayant exercé les fonctions de Vice-président chargé des Questions Politiques, Défense et Sécurité et de Président de l’un des partis politiques de l’opposition qui a participé aux élections générales et disposant des sièges dans les deux chambres du Parlement et dans les institutions provinciales

Le thème qui m’a été proposé est celui de la sécurité. Cependant en examinant de près les matières de notre conférence, elles sont à ce point transversales que l’on ne peut parler de la sécurité au Kivu, sans parler de la paix ni du développement. Car sans la sécurité il n’y a ni paix ni développement.

Ainsi donc, il existe un lien entre ces concepts qui ne peut être rompu pour tout communicateur averti.
Voilà pourquoi, j’ai reformulé l’intitulé de mon sujet en ces termes : « La sécurité comme facteur essentiel de la construction d’une paix durable et du développement au Kivu (RDC) »

Ne disposant que de quinze minutes, je n’aborderai pas les définitions des concepts ; mais avant cela permettez-moi de noter avec satisfaction la convocation de cette conférence par le Président de la République et le soutien du Gouvernement et de la Communauté Internationale ainsi que le soutien des nos élus, de l’opposition et de l’ensemble de notre population.

S’agissant de la situation au Kivu, notre exposé va donc s’articuler autour de la problématique de la sécurité ou de l’état des lieux (I) des causes et des conséquences de l’insécurité (II) des principes de solution dans un plaidoyer en faveur de la construction de la sécurité pour une paix et un développement durables(III).

I. Problématique de la sécurité au Kivu : Etats des lieux.

Depuis l’indépendance, l’espace qui constitue aujourd’hui les provinces du Nord-Kivu et du Sud-Kivu a connu beaucoup d’insécurité.
Toutes les rébellions sérieuses qui ont secoué notre pays partent et/ou se développent toujours à partir de l’Est et en particulier du Kivu.
Il s’agit notamment de la rébellion Muleliste pendant laquelle je suis né, celle de Jean Schram, celle de Laurent Désiré Kabila dans le maquis de FIZI pendant des décennies et pendant qu’il était pourchassé par le régime Mobutu, celle de l’AFDL, du RCD, de plusieurs groupes Maimai et des groupes plus récents dont PARECO, CNDP, GROUPE DE 47 etc.
S’il est vrai que le Kivu peut être considéré comme le berceau des révolutions dont celle de l’AFDL qui a changé le régime Mobutu de 32 ans de règne, il est aussi vrai d’affirmer que les révolutions ,les guerres ,les résistances armées etc. ont engendré de l’insécurité.
Par exemple, pour ma génération, je suis donc né dans l’insécurité et ai grandi en elle et comprends facilement de quoi il s’agit.

Voilà pourquoi nous devons capitaliser ces assises pour y mettre définitivement fin si nous voulons demain compter comme peuple de ce pays, de cette région. Sinon, cette insécurité nous emporterait.
Par ailleurs, depuis l’arrivée des EX-FAR et INTERAHAMWE en RDC, après le génocide Rwandais, l’insécurité a été totale dans nos deux provinces du Kivu.
Ce phénomène honteux nous a parfois divisé alors que des populations du Kivu continuent à subir les affres de leurs actions macabres parfois dans un silence coupable. Quand ce ne sont pas nos filles, sœurs ou mamans qu’ils violent, ce sont nos compatriotes qu’ils tuent.
Dès lors la question est de savoir si nous Kivutiens réunis en conférence avons suffisamment de volonté, de courage et de vision commune pour dénoncer, faire face et exiger du Gouvernement de mettre fin à ce règne des groupes armés étrangers.
En d’autres termes, au-delà des accords et des communiqués conjoints comme les accords de NAIROBI, des mécanismes de tripartite plus un et d’autres encore qui sont à encourager, sommes-nous prêts à jouer à fond notre part de responsabilité ?

Nous devons faire des recommandations sérieuses certes, mais si après cette conférence les exactions contre nos populations par des groupes armés continuent, nous aurons raté un des buts clés de cette conférence.

L’autre préoccupation, c’est justement la guerre ou l’insécurité menée par les groupes armés congolais qui s’affrontent entre eux ou contre les forces gouvernementales avec des conséquences incalculables sur les populations civiles sans oublier la mort de nos enfants de deux côtes de front.
Les rapports des ONG des Droits de l’Homme, mettent sur le compte des groupes armés congolais et même des FARDC les violations massives des droits de l’homme et donc de l’insécurité.
Faire cesser ces guerres et cette insécurité c’est l’autre but que nous devons garder comme obligation de résultat, alors nous pourrons compter positivement dans l’histoire.

Dans l’histoire récente de notre pays, nous avons eu à négocier la paix et ses corollaires, d’ailleurs il y a parmi nous des négociateurs principaux des composantes et entités qui y avons participé.

Grâce à ces négociations connues sous le nom des « Accords de Sun City », les acteurs politiques et militaires et ceux de la société civile ont mis fin à la guerre.
Pendant toute la transition, malgré les multiples crises sérieuses qui l’ont secoué multiples crises sérieuses qui l’ont secoué, le pays a été réunifié, l’autorité de l’Etat rétablie sur l’ensemble du territoire national, le niveau de l’insécurité commençait à baisser sensiblement, la réforme du système sécuritaire avançait à pas de géant avec 15 brigades brassées et la démobilisation de plus de 100.000 personnes ,les élections ont été tenues,même si c’est avec critiques parfois sérieuses, mais l’important ce que les résultats ont été acceptés par tous, réglant ainsi la crise de légitimité que nous traînions derrière nous depuis le lendemain de l’indépendance.
Pour avoir été pendant 3 ans et demi l’un des artisans de cette transition difficile et même du processus électoral, ayant eu sous ma coordination tous les ministères de souveraineté et bien d’autres dont la Presse, le Genre et les Affaires Humanitaires, je dois avouer que les acquis de la transition sont une œuvre commune, de même que les élections le sont, étant à la tête d’un parti politique d’opposition qui dispose de 15 membres à l’Asseemblée nationale, de 7 sénateurs et de 42 députés provinciaux dans 10 provinces sauf dans la mienne du Sud-Kivu !

Personne n’a donc le droit de s’attribuer les acquis de la transition et du processus électoral. C’est à plusieurs que l’on gagne, et tel devrait être l’esprit de cette Conférence.
Ces acquis rappelons-le, ont permis au pays de ne pas retourner dans une guerre généralisée, ce qui aujourd’hui compliquerait la situation.

Discutant avec vous de la problématique de l’insécurité au Kivu, la question majeure est de savoir, comment, alors que nous avons des institutions issues des élections, l’insécurité a repris et s’est même généralisée au Kivu ?

Qu’est-ce qui explique qu’il y ait parmi nous les représentants des groupes armés congolais, permettez-moi l’expression, toutes ethnies confondues ?

Y a-t-il des problèmes non réglés par la transition et les élections et qui seraient à la base du retour à la guerre et à l’insécurité généralisée ?
Quel est le rôle mieux , pourquoi l’élite en général et l’élite politique du Kivu en particulier qui pourtant regorge des profils respectables et dotés d’influence considérable sur le plan national n’arrive pas à régler ses problèmes au point d’agacer les originaires des autres provinces ?

Enfin, nous devons considérer que nous avons une opportunité quasi unique en son genre pour influencer considérablement le cours de l’histoire de notre pays et de nos deux provinces afin que demain après la conférence,

-le cultivateur aille aux champs sans peur de se faire tuer ou ravir la récolte ;
-le pêcheur aille à la pêche pour partager ensuite savec sa famille le produit de sa pêche ;
-le pasteur ou berger puisse paître ses brébis sans se faire agresser ou se voir arracher le produit de sa ferme ;
-le citadin aille dans ses activités sans craindre de se faire liquider au soir sur la route ou devant sa maison.…….

Mais comme il faut bien s’en rendre compte, l’insécurité n’est pas seulement dans les territoires de RUTSHURU et de MASISI, mais dans tous nos Territoires, toutes nos villes et localités du Kivu.

Aussi, l’insécurité n’est pas que physique elle est aussi psychologique ; en d’autres termes, il s’agit d’un état d’esprit. Ne dit-on pas que la paix n’est pas que l’absence de la guerre. Il en est de même de la sécurité.
De quoi avons-nous peur ? Pourquoi avons-nous peur le uns des autres ? Arrêtons cette peur. s
Qu’elle soit physique ou psychologique et quelques soient ses auteurs, l’insécurité au Kivu a conduit aux conséquences qui ne peuvent pas nous laisser insensibles ni indifférents.

II. Causes et Conséquences de l’insécurité au Kivu

A) Causes

Parmi les causes de l’insécurité au Kivu, il y a lieu de noter :

-la pauvreté ;
-la mauvaise gouvernance au niveau provincial et national ;
-l’absence d’un Etat de droit ;
-la compétition qui débouche sur un discours politique basé sur la haine ethnique et l’exclusion ;
-l’instrumentalisation des communautés par le pouvoir depuis très longtemps selon le principe « Diviser pour mieux régner » ;
-la mauvaise gestion des revendications des groupes qui ne sont pas rencontrées ou canalisées ;
-l’incidence des problèmes sous-régionaux à tort ou à raison ;
-la jeunesse de notre démocratie ;
-la difficulté de gérer la victoire politique ;
-la gestion chaotique des problèmes des minorités notamment le comportement de la majorité qui a gagné les élections par rapport aux minorités qui les ont perdues, sachant du reste que la victoire électorale est encore liée à la tribu et non au programme politique. -le manque d’un leadership efficace et d’une élite responsable ;
-l’absence d’une politique de réconciliation nationale et de vision commune sur les valeurs, etc.

B) Conséquences

Sans vouloir nous engager dans un débat sur les chiffres des morts qui varient selon les intervenants et les différents rapports existants ni selon les causes de la mort dont certaines sont liées à la détérioration de la situation socio-économique du pays depuis plusieurs décennies, et en attendant des rapports plus concluants, la première des conséquences de l’insécurité au Kivu, c’est justement la mort qui frappe tôt le matin, en plein midi,tard le soir ou au milieu de la nuit.
Elle frappe en villes, en campagnes, dans la majorité et dans la minorité, dans les rangs des nos forces armées et des groupes armés, parmi les jeunes, les vieillards,les femmes et jeunes filles constituant la catégorie la plus ciblée ; les femmes souffrent atrocement des effets des viols et se considèrent comme mortes quoique vivantes.

Utilisé comme arme de guerre ou pas, le viol déshumanise celles qui donnent naissance à l’homme. Le viol détruit nos jeunes filles et nos foyers, et lorsqu’il s’accompagne de la contamination du VIH/SIDA, l’on meurt doublement et à plusieurs.

Parmi les conséquences, il y a également le maintien des nos populations dans le sous-développement. En effet, la pauvreté et l’insécurité font un cercle vicieux.
Plus nous sommes en insécurité, plus nous serons pauvres. Et plus nous sommes pauvres, plus nous serons en insécurité.

(Exemple de la Sucrerie de KILIBA et ma démarche auprès de la BAD)

-la réminiscence des torts causés par les uns vis-à-vis des autres et vice-versa.
-la persistance des tensions entre les communautés et le risque d’embasement des provinces dus au fait que la faute d’un chef de groupe armé est d’office imputable à son groupe ethnique et parfois pris comme tel par le pouvoir ou les forces ou services de sécurité qui, à leur tour violent les droits individuels et collectifs des groupes concernés.
-le déplacement massif des populations qui ne peuvent pas rester dans leurs maisons ni y retourner de peur de se faire agresser ou tuer. Environnant un million des déplacés au Nord-Kivu , c’est-à-dire plus que le DARFOUR, nous sommes devant une véritable catastrophe humanitaire.
-le maintien des réfugiés à l’extérieur plus pour des raisons liées à l’insécurité à leur retour ou du fait de leur identité créant ainsi des frustrations qui débouchent à des actions armées.

-la survivance à dessein de nuire, des questions identitaires qui suggère qu’il y aurait des communautés totalement congolaises et d’autres étrangères ou de nationalité douteuse rendant ainsi apatrides aux yeux de l’opinion certains congolais à part entière.
-le retard de l’ensemble du pays qui doit consacrer beaucoup de son attention, de son énergie, des moyens financiers ou logistiques, de son temps aux problèmes du Kivu,presque en mettant de côté les autres provinces.

C) Les acteurs de l’insécurité au Kivu

1. Comme cela a été déjà dit,le phénomène des groupes armés étrangers : EX FAR, INTERAHAMWE, FDLR, RASTA, NALU, ADF, LRA et FNL qui sèment la désolation est une honte et une charge à la fois.
Nous devons nous en débarrasser et trouver des solutions durables à cet égard.

2. Les groupes armés congolais, quelques soient leurs tendances ou revendications n’ont pas le droit de causer l’insécurité et la désolation parmi la population. C’est insupportable et injustifiable et ça doit prendre absolument fin.

3. Les forces de l’ordre, en particulier l’armée et la police quelques soient la noblesse de leurs motifs ,ils ne sont pas fondés de tuer,violer, arrêter les civils et faire régner un climat de peur et d’insécurité en violation des droits de l’homme.
A l’égard des civils, leur comportement devrait être un exemple à suivre : mettre en avant la protection des civils.

III. Plaidoyer pour la construction de la sécurité comme facteur essentiel de paix et de développement durables au Kivu

Mesdames,Messieurs,

Plus haut nous avons indiqué que cette période constitue pour nous tous un grand rendez-vous avec l’histoire.
Nous devons donc prendre ce temps au sérieux et ne pas le gaspiller, sinon nous le regretterons ensemble.
Le monde nous regarde ,l’Afrique et la Région,la Nation aussi ;mais surtout la population du Kivu constituée par nos frères et sœurs, parents, fils et filles dont les yeux sont braqués sur GOMA en quête de la paix, de la sécurité et du développement.
Nous avons donc le devoir de vaincre la peur y compris celle que nous causons, de faire les propositions courageuses en dépit de l’incompréhension, après tout, c’est la personne humaine qui est en jeu.

Autant la paix a un prix, autant la sécurité a un prix. Il faut les identifier et les payer pour vivre.
De la liste imaginable des principes de solution face à l’absence de la paix et de la sécurité au Kivu, nous sommes convaincus de vous partager les suivants, fruits eux-mêmes de notre propre conviction :
A) L’exercice des valeurs morales ou spirituelles ou la force du pardon

A cause des torts que nos parents, nos aînés et nous-mêmes nous nous sommes causés, nos enfants vivent constamment dans la peur du lendemain. Ils pensent que nous sommes des ennemis (entre communautés), et désespèrent de vivre des lendemains meilleurs et préfèrent fuir pour aller vivre à l’étranger peut être pour ne plus revenir.
Et pourtant, Dieu nous a doté d’un véritable paradis sur terre. En effet, le Nord et le Sud-Kivu sont parmi les lieux les plus beaux du globe terrestre. Qu’en faisons-nous ?
Pour remédier à cette situation, nous devons recourir à ce même Dieu qui nous demande de vivre selon les valeurs du Créateur pour ne pas nuire aux autres créatures.
En clair nous ne saurons pas faire la comptabilité de tous nos torts réciproques et nous exiger réciproquement réparation.
Qui devra à qui et combien de temps durerait l’exercice ?

La solution à la portée de nos mains qui ne demande ni argent ni temps, c’est le pardon. C’est ça la force qui peut me libérer de ne plus avoir peur de toi mon frère, ma sœur,et te libérer de la peur de moi malgré nos différences naturelles qui, elles, resteront.

Tous les peuples réputés grands et qui ne se sont pas exterminés finissent par arrêter le cycle de violence et d’insécurité en se pardonnant pour le passé dans une sorte de pacte par lequel ils prennent des engagements pour l’avenir.

Les valeurs morales et spirituelles et en l’occurrence le pardon en vue de la réconciliation et de l’unité des Kivutiens me parait être comme la lettre A pour le reste de l’alphabet.

Le pardon nous en avons besoin plus que jamais et à partir d’aujourd’hui.
Sans le pardon sincère, il n’y aura ni paix, ni sécurité, ni convivialité, ni développement.
Sans le pardon, même notre espérance de vie au Kivu sera écourtée. Par contre si nous nous pardonnons nous nous regarderons avec des nouveaux regards d’assurance réciproque et nous travaillerons main dans la main pour réussir les défis qui se posent devant nous.

Le pardon sincère et réciproque, voilà la clé de la paix des braves.

B. Les mécanismes de prévention et résolution des conflits ultérieurs

Comme communautés du Kivu, nous devons développer les capacités en vue de mettre sur pied des mécanismes de prévention et de résolution des conflits.
S’agissant de la prévention, l’objectif principal de l’action préventive est d’agir efficacement contre les premiers symptômes d’un conflit afin de l’étouffer et éviter son éclatement, car le conflit, généralement on le voit venir.
Cette action tend à canaliser et à transformer les contradictions à la base du conflit en complémentarités constructives et solidaires grâce à l’exploitation des vertus de la paix.
Lorsqu’un conflit a déjà éclaté, comme c’est le cas aujourd’hui où nous avons plusieurs conflits déjà éclatés, nous devons aussi utiliser nos volontés et nos énergies quelles que soient nos tendances politiques et nos intérêts pour parvenir à contribuer efficacement, à côté de l’Etat au règlement définitif des crises ou des conflits. Il faut notamment :
1) Concevoir la création des institutions, des organismes ou structures permanentes qui veilleront à la paix et à la sécurité de tous, sans avoir la prétention de remplacer celles étatiques mais en les appuyant.

Ces structures peuvent s’appeler OMBUDSMAN (d’origine suédoise), observatoire ou autrement, leur composition peut être définie, le plus important sera leur mission à savoir empêcher les conflits ou aider à régler ceux latents ou ouverts. Elles devraient également s’occuper des abus que causent les services de l’Etat.

2) Concevoir la politique de réconciliation nationale avec une dimension particulière pour le Kivu.
Ici la politique à concevoir en matière de réconciliation nationale consiste à identifier les causes récurrentes et les acteurs principaux ou cycliques en matière des conflits et proposer des réponses permanentes, en termes des principes, ou alors une dynamique en vue des solutions progressives.

Il s’agit en d’autres termes de développer une vision claire basée sur les valeurs comme la tolérance, la justice, l’égalité.

Cette vision doit guider les gouvernants à tous les niveaux, couler en force des lois ou de règlement selon les cas et conduire à des sanctions mêmes très sévères le cas échéant.

3) Mettre en œuvre le principe constitutionnel de protection des minorités

Le concept étant sujet à des controverses dans notre pays pour des raisons politiques, il y a lieu cependant de considérer qu’il est consacré dans notre Constitution comme obligation étatique et déjà il l’était dans les instruments juridiques internationaux.

En réalité ce concept concerne « quiconque » se trouverait dans une situation spécifique répondant à la définition par rapport à la discrimination due à l’ethnie, au sexe, à la race, à la langue, à la culture ou la religion.

Dans le cas du Kivu, cette question mérite une enquête sérieuse pour que de toute évidence toute question découlant de ce problème soit réglé selon les principes nationaux et ceux universellement reconnus.

La protection des minorités constitue un principe constitutionnel dans notre pays. Il faudrait une loi et des règlements pour la mise en œuvre de ce principe.

C. Observer la culture démocratique : élections libres transparentes et démocratiques.

Sans revenir à la crise de légitimité que le pays a connu pendant plusieurs décennies, ce qui entraîné la cohorte des malheurs, il y a lieu de considérer que les élections générales ( en attendant les locales ) passées en 2006, quoique imparfaite en terme de liberté, de transparence et démocratie, mais pour avoir été les premières à être organisées dans un contexte multipartite depuis plus de 40 ans, viennent de régler la crise de légitimité.

La consolidation de la paix et de la sécurité en RDC en générale et au Kivu en particulier passe par la tenue régulière des élections selon les mandats constitutionnels. Mais pour jouer cette fonction, elles doivent être véritablement libres, transparentes et démocratiques c’est-à-dire dépourvues de fraudes et d’autres entorses par rapport à la démocratie.
Les personnes élues démocratiquement doivent être responsables et comptables de leurs actions et être sanctionnées après leurs mandats par rapport à leurs programmes mais aussi à leur comportement au regard de la réconciliation nationale.

En clair, si un candidat utilise un discours de haine ethnique et d’exclusion pour se faire élire, quel que soit le niveau où il concourt, il devrait voir son élection annulée. Et si c’est au cours de son mandat qu’il entreprend cette sale besogne, il devrait en répondre devant la justice sans couverture de l’immunité ou la lui enlever selon une procédure simplifiée et accélérée.

Aussi la culture démocratique devra conduire le Kivu et la RDC à produire des dirigeants élus non sur base de l’extrémisme, de fraude ou d’autres antivaleurs mais sur base des vertus et des profils devant aider à cimenter la réconciliation nationale et Kivutienne.
Cela est aussi le prix à payer pour une paix et une sécurité durables.

D. Construire l’Etat de droit et la Bonne Gouvernance

La RDC en général et le Kivu en particulier souffrent depuis longtemps des méfaits de la mauvaise gouvernance politique, économique et social.

Le degré de corruption, de non respect des lois et des règlements, de manque de transparence, de violation des droits de l’homme, le degré avancé de faiblesse des institutions, de l’opposition et de la société civile ; et l’existence d’une presse abondante mais parfois non véritablement libre ou abusée par le pouvoir, constituent des signes indéniables qui doivent nous interpeller. Nous devons donc renforcer nos capacités à tous les niveaux.

Plus ces signes persistent au niveau national et local, plus règnera l’absence de paix, de sécurité et de développement. Par contre, régler les problèmes liés à l’Etat de Droit et à la gouvernance ouvre la porte de la prospérité partagée entre communautés avec des intérêts communs. Le rôle de la Justice indépendante et impartiale reste comme un rempart pour toutes les victimes qui peuvent s’en prévaloir, avec des sanctions renforcées s’agissant de la corruption, du détournement, mais aussi et surtout de la haine ethnique, infraction qui reste méconnue, pourtant prévue mais faiblement punie par notre code pénal.

E. Lutte contre la pauvreté : développement économique et social

La RDC en général et le Kivu en particulier constituent un paradoxe en matière de richesses et de pauvreté. Si notre pays est réputé naturellement riche (minerais, eaux, forêts, énergie …) avec des ressources humaines considérables dont la forte densité au Kivu, notre population vit dans une extrême pauvreté, l’espérance de vie étant de 42 ans, selon le rapport du PNUD. Pourtant le Kivu fut le grenier du Zaïre. Nous pouvons répéter l’expérience et même exporter les produits vivriers.

Le sous-développement et la pauvreté créent un climat d’insécurité propice aux conflits, les populations vivant dans des conditions infrahumaines et d’extrême pauvreté étant exposées à la violence.

A la suite de ce constat, il est indispensable de favoriser la croissance économique accompagnée, toutefois, d’une justice distributive. La relance de l’économie et la reconstruction des infrastructures sociales consolidant les sentiments nationaux et provinciaux et, par conséquent, la paix sociale et la sécurité de tous. Au Kivu et partout en RDC, il nous faut de bonnes structures et de bons programmes pour assurer l’instruction, l’éducation de la jeunesse, assurer les soins de santé primaire, créer des emplois.

Il faut assurer l’assainissement des finances publiques, garantir des micro et macro crédits, et assurer la croissance économique, attirer les investisseurs, rationaliser l’exploitation des minerais etc …

Si l’économie et le social se portent bien, nous serons à l’abri des conflits du fait de la pauvreté.

F. Répondre aux revendications légitimes en suspens

Parmi les causes recensées qui sont à la base de l’insécurité ou qui résultent de celle-ci comme conséquences, il y a des questions légitimes d’ordre humanitaire, social, politique ou autres. L’Etat, dans l’exercice de ses missions multiples, doit rencontrer ce genre de revendications.

1) C’est, notamment, le retour des réfugiés congolais qui doit se faire comme relevant de l’urgence. Il n’existe pas de raisons suffisantes pour maintenir une partie de sa population à l’extérieur du pays ou donner l’impression que l’on n’est pas pressé pour les faire rentrer. Il faut un programme clair du retour de tous les réfugiés congolais assorti d’un calendrier et des moyens suffisants.

Il faut également et rapidement éliminer l’insécurité de leurs milieux d’accueil, et, sans les sacrifier, comprendre que leur présence dans leur milieu d’origine contribuera à chasser l’insécurité. Il faut également qu les populations locales du Kivu en particulier, qui les accueilleront, soient conscientisées favorablement pour ne pas vivre l’hostilité non condamnée de Moba face à un retour imaginaire des membres d’une communauté pour s’installer chez eux. Et pourtant, la Constitution reconnaît à chaque congolais le droit de s’installer où il veut sur l’ensemble du territoire national.

2) L’autre question insupportable, c’est le nombre de 800 000 déplacés dans la seule province du Nord-Kivu. De toute urgence, cette question est à régler, car elle s’apparente à un abandon «des siens» pour nous tous. Il faut également, un programme assorti d’un calendrier et des moyens adéquats. Nous n’avons pas à reporter pour plus tard, mais à conjuguer nos efforts pour mettre fin à cette catastrophe maintenant !

3) Les revendications liées à l’instrumentalisation des populations civiles, à l’intoxication, à la propagande, ou propagation de la haine ethnique, au traitement discriminatoire en matière des droits et devoirs des citoyens et des droits de l’homme en particulier, y compris les fausses questions identitaires, toutes ces revendications devraient trouver une oreille attentive et connaître un règlement définitif. Il vaut mieux faire un catalogue des revendications de toutes les communautés, en juger objectivement la pertinence et régler celles qui sont justifiées quelque soit ce qu’en pense l’opinion. C’est là la responsabilité des leaders.

G. Les demandes des groupes armés congolais

Etant donné l’existence de plusieurs groupes armés congolais invités à la Conférence, l’examen minutieux de leurs cahiers de charge permettra de sélectionner les demandes justes et fondées auxquelles l’Etat devra réserver des réponses positives et urgentes.

Pour des demandes non fondées, il faudrait, avec tact et diplomatie, le leur démontrer en toute fraternité.

Les conférenciers devraient consacrer beaucoup de temps pour l’examen de ces demandes. Il en va de l’issue même de la Conférence pour être sûr que nous contribuerons de manière significative à mettre fin à la guerre dans une semaine, date de la clôture probable de nos travaux.

L’une des questions qui constituent la demande des groupes armés congolais, c’est leur sort. Ici, je pense qu’il nous faut des propositions courageuses au gouvernement. En effet, après réflexions, nous n’avons pas beaucoup d’options. En clair, nous devons leur offrir soit l’intégration ou la démobilisation, soit la prison ou la liberté, soit les poursuites judiciaires ou le classement des dossiers sans suite pour inopportunité des poursuites, soit encore la revanche ou le pardon. Il est même possible de faire des propositions croisées, mais le plus important c’est de trouver des principes de solutions simples ou croisés, pourvu qu’elles soient en mesure de mettre fin à la guerre, sinon ce sera des dépenses inutiles, du temps perdu et la consécration de notre incapacité, si après la Conférence, nous n’aurons ni paix, ni sécurité, ni développement.

Probablement, les vrais enjeux de la Conférence, si nous voulons une solution ultime, se situe à ce niveau-là. Je conseille plus de sagesse et d’inspiration sur comment le règlement des conflits armés s’opère dans d’autres pays. A un moment donné de l’histoire, nous devons savoir identifier l’essentiel duquel dépend le reste.

L’important est de décider par rapport à nos intérêts majeurs du Kivu et de la nation, et de s’assumer, même si nous pouvons ne pas être compris dans l’immédiat. Plus tard, l’Histoire et l’opinion nous donneront raison.

H. La question des groupes armés étrangers et la convergence des intérêts sous-régionaux

Beaucoup de choses ont été dites précédemment par rapport à la désolation qu’ils causent à notre population. Tout en soutenant les mécanismes en cours au niveau bilatéraux, sous-régionaux, de la Tripartite plus un avec la facilitation américaine, ainsi que de l’implication onusienne (processus de Nairobi), nous devons recommander le retour effectif des réfugiés rwandais dans leur pays, et le désarmement des groupes armés rwandais, ougandais et burundais se trouvant sur le sol congolais, sans plus rien attendre. Notre paix et notre sécurité sont à ce prix-là. Après leur désarmement, leur sort dépendra de ceux qui ont commis le génocide ou pas. Aussi des projets économiques et sécuritaires comme la CEPGL ou ceux intégrateurs de la conférence des Pays des Grands Lacs doivent être considérés et recommandés par les participants à titre prioritaire.

I. Le leadership efficace et l’élite responsable

Dans mon expérience du pouvoir, je suis arrivé à comprendre et à réaliser que les élections et les bons programmes ne suffisent pas, bien qu’ils soient nécessaires et indispensables.

Au-delà de ce qui a été dit comme valeurs pour la construction de la sécurité en vue d’une paix et d’un développement durable du Kivu, un bon leadership me paraît une valeur sure et complémentaire dont le Kivu et la RDC ont besoin.

Les leaders, mieux nos leaders doivent être porteurs de vision et de valeurs pour réussir, prévenir les conflits et les résoudre pacifiquement le cas échéant, sauf cas extrême. Ils doivent développer en eux les qualités requises pour être à la hauteur de la tâche. Beaucoup de petits conflits deviennent des grandes crises à la suite de mauvais leadership.

Pour quitter le contexte de conflits armés généralisés, et tourner définitivement la page, notre pays a besoin d’un leadership visionnaire, dont la vision est basée sur sa position stratégique et ses richesses sur base d’un plan global de développement et de sécurité.

Elle doit être basée également sur les éléments du futur, par rapport à la place qu’il veut occuper sur l’échiquier international.

Le leadership de la province et de la RDC doit être également caractérisé par des valeurs comme l’intégrité, l’honnêteté, la justice, la droiture, la simplicité, la discipline, la modération, la tolérance, la réconciliation et la paix.

C’est en étant un homme de paix soi-même que l’on peut procurer la paix aux autres, et éviter au maximum les conflits. C’est en étant juste que le leader peut rendre justice et avoir le courage de punir et de sanctionner les coupables. C’est en étant intègre que le leader peut efficacement combattre la corruption et les autres anti-valeurs et partager ainsi les richesses, ce qui évitera les conflits.

C’est en étant modéré qu’un leader peut promouvoir la tolérance, la réconciliation nationale et combattre l’extrémisme qui conduit aux conflits.

Nous avons besoin du leadership qui sert, qui met les intérêts de la population au devant des siens, et au centre de toutes ses préoccupations. Le leadership efficace, combiné à l’élite responsable, voilà une autre pierre précieuse à ajouter comme valeur pour la construction de la sécurité en vue d’une paix et d’un développement durable en RDC en général et au Kivu en particulier.

Conclusion

La Conférence sur la paix, la sécurité et le développement, est à la fois une grande responsabilité et une grande ambition pour nous tous. C’est l’un des rendez-vous historiques de notre peuple. Le gouvernement et la Communauté internationale ayant pourvu des moyens pour se faire, notre volonté doit entraîner notre détermination pour proposer et décider, selon les cas, pour le devenir de nos enfants et de nous-mêmes.

Puissions-nous tous comprendre les enjeux, les défis et assumer notre responsabilité maintenant.

Que Dieu bénisse la RDC.

Qu’il bénisse le Kivu.

Je vous remercie.


Goma, le 10 janvier 2008

Me AZARIAS RUBERWA

Vice-Président honoraire

Président du RCD

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