Thursday, November 23, 2006

COLETTE BRAECKMAN ATI MINEMBWE NTIGENDWA

Inaccessible Minembwe

Dominant Bujumbura, la ville congolaise d’Uvira et le lac Tanganyika, les haut plateaux de Minembwe offrent un contraste saisissant avec la luxuriance de la plaine de la Ruzizi. Des falaises abruptes, des prairies balayées par le vent où paissent d’immenses troupeaux. Pas de villages mais des fermes encloses, jalouses de leurs secrets. C’est ici, sur la terre des Banyamulenge, que la guerre a commencé en 1996. C’est ici aussi qu’elle pourrait reprendre.
Car les Banyamulenge, ces Tutsis arrivés du Rwanda par vagues, depuis des siècles ou des générations, ont toujours entretenu des relations ombrageuses, tant avec leurs cousins de Kigali qu’avec leurs voisins et compatriotes congolais. Ces pasteurs ont toujours cultivé leur différence, revendiqué leur autonomie et au début des années 90, leurs fils, par milliers, se sont engagés dans les rangs du Front patriotique rwandais. Après 1994, ils ont été renvoyés au Congo, afin de prendre à revers les camps de réfugiés hutus égrenés sur la frontière. Fers de lance de la première guerre du Congo, fantassins de la deuxième, les Banyamulenge ont alors été accusés d’être une «cinquième colonne» de Kigali, jusqu’à ce qu’un de leurs chefs, le commandant Patrick Masunzu, fasse défection et se solidarise avec la cause congolaise. Lorsqu’il prit les armes contre ses alliés d’hier, il entraîna de sévères représailles sur ses compatriotes des haut plateaux, car des hélicoptères venus du Rwanda brûlèrent alors les champs et décimèrent les troupeaux des cousins devenus indociles.
Les Banyamulenge sont désormais divisés : les uns, proches du RCD Goma, ce mouvement rebelle allié de Kigali, ne se consolent pas à l’idée de rentrer dans le rang et menacent de reprendre les armes si le vice-président Azarias Ruberwa et ses compagnons candidats à l’ Assemblée ne sont pas élus. D’autres, proches de Masunzu se présentent comme candidats indépendants, font partie de la majorité présidentielle et misent sur la rancune suscitée par les représailles rwandaises.

Y aurait-il encore des caches d’armes sur les hauteurs inexpugnables de Minembwe ? Que préparent les 47 compagnons de Jules Mutebutsi, ce militaire félon qui avait attaqué Bukavu en juin 2004, des hommes qui sont récemment arrivés du Rwanda bien armés, équipés d’appareils de transmission ? Pourraient-ils un jour faire jonction avec Laurent Nkunda, un autre dissident qui tient toujours son bastion de Kiwandja dans le Nord Kivu et reprendre les hostilités? A la veille des élections, les officiers politiques de la Mission des Nations unies au Congo basés à Uvira devront encore attendre pour obtenir la réponse à toutes ces interrogations : un lambeau de brume flottant sur les plateaux a suffi à dissuader le pilote indien de poser son hélicoptère sur la piste de terre battue et l’appareil a dû repartir avec à son bord du matériel électoral, des bâches pour les bureaux, des chaises, des lampes.
Les agents politiques de la Monuc ne cachent pas leur déception, car ils auraient voulu s’assurer qu’à Minembwe aussi, tout se passera bien. Un Congolais venu de Kinshasa, que tout le monde appelle «Mister Cash» et qui ne lâche pas une grosse valise bleue, est furieux lui aussi, car il transporte, non sans risque, la paie des agents électoraux et il sait à quel point la «motivation» déterminera le succès des opérations. Les primes ne sont cependant guère élevées : 35 dollars pour un simple assesseur, 70 pour le président du bureau de vote, 500 pour le responsable du «bureau de liaison». Mais les agents de la Commission électorale indépendante assurent que, lorsqu’ils gravissent les pistes de montagne, portant sur leur tête le matériel électoral, ce qui les motive avant tout, c’est la volonté de faire réussir ces élections. D’ailleurs le capitaine Makangila, qui doit dès jeudi déployer ses policiers sur les haut plateaux n’y tient plus : puisque l’hélicoptère l’abandonne, il réquisitionne une moto à Uvira et assure qu’il fera à pied le reste du chemin : «J’arriverai aujourd’hui, coûte que coûte …»
Malgré l’éloignement, les candidats tiennent à se rendre à Minembwe : à bord d’un hélicoptère privé, le vice-président Ruberwa est venu saluer ses cousins, puis il a tenu meeting à Uvira, fief des Babembe et des Mai Mai qui étaient hier ses ennemis jurés. Ici, les jets de pierre, les injures font désormais partie du passé; contrairement à ce qui se passe à Kinshasa, les affiches ne sont pas déchirées, les réunions électorales ne sont pas chahutées par des opposants. Cependant, les observateurs électoraux déjà installés dans les rares hôtels de la petite ville d’Uvira avouent qu’ils ne dorment plus : chaque soir, la fête électorale se prolonge par de la musique, des libations et tous les candidats se succèdent dans la rue principale, dans une atmosphère de joyeuse tolérance. A Bukavu aussi, Ruberwa a pu réunir la foule sans être importuné, même si les gens, en riant, criaient «vive Kabila» sur son passage…
Certes, rien n’est gagné dans cette région explosive: aux abords du parc de Kahuzi Biega, des villageois ont arrêté un jeune homme qui semblait être un éclaireur pour Laurent Nkunda, à Kanombo sur les haut plateaux, les infiltrés venus du Rwanda ont installé un quartier général inexpugnable, dans la plaine, des Mai Mai, arguant de ces menaces, ont refusé d’aller au brassage et de se fondre dans la nouvelle armée nationale.
Chaque jour des villageois du Sud Kivu sont encore attaqués, pillés, violés par des hommes d’origine rwandaise dont ont se demande à qui ils obéissent… Il faudra encore des mois, des années, pour que cette région retrouve une paix réelle. Cependant, malgré les retards des hélicoptères, la lenteur du paiement des primes, le fait que les téléphones satellites qui permettront de transmettre les résultats n’ont pas encore été distribués partout, il est déjà un miracle dont personne ne doute et qui justifie déjà la fête : dans ce Sud Kivu jadis épicentre de la guerre, on votera ce dimanche, autant sinon mieux qu’ailleurs.

COLETTE BRAECKMAN
Source: http://blog.lesoir.be/colette-braeckman/

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