Chef de la délégation du M23 aux négociations de Kampala, René Abandi fait le point sur les contacts avec Kinshasa. AFRIKARABIA : - René Abandi, alors que les négociations reprennent ce week-end à Kampala, votre passage à Paris est pour nous une surprise. Vous aviez rendez-vous avec des représentants du gouvernement français ? René ABANDI : - Je suis à Paris parce que nous avons de bons contacts avec le peuple français, pas nécessairement avec le pouvoir. Une rencontre avec un représentant du gouvernement français serait bienvenue, mais ce n’est pas encore programmé. AFRIKARABIA : - Vous le regrettez ? René ABANDI : - La France est un pays important. Nous, Congolais, parlons français, le Congo est le premier pays francophone du monde après la France. La France peut contribuer à des solutions pacifiques au Kivu et à faire l’économie de vies humaines et de bien des souffrances. AFRIKARABIA : - Vous êtes conscient de la mauvaise réputation du M23 ?
René ABANDI : - Pas auprès du peuple de France, mais auprès de personnes qui influencent l’opinion dans le sens des hostilités, oui.
AFRIKARABIA : - Le gouvernement des Etats-Unis vient d’annoncer qu’il supprime son assistance militaire au Rwanda parce qu’il soutient le M23, lequel enrôle des enfants-soldats… ?
René ABANDI : - Il s’agit d’une extraordinaire désinformation. A ma connaissance, le gouvernement rwandais a interdit le recrutement d’enfants soldats depuis de très nombreuse années, et le M23 ne pratique pas davantage ce genre d’enrôlement. Nos avons demandé une enquête internationale pour vérifier que nos n’avons pas d’enfants soldats. Nos sommes prêts à accueillir tous les journalistes qui voudront enquêter également. Mais pas de réponse en ce sens. Nos sommes confrontés à une machination, à des informations fabriquées.
AFRIKARABIA : - On reproche au Rwanda de vous soutenir ?
René ABANDI : - Demandez aux autorités rwandaises de répondre sur ce point. Mais je peux vous dire pour le M23 que le Rwanda ne nous soutient pas. Il est neutre.
AFRIKARABIA : - Pourquoi alors ces accusations, répétées de mois en mois ?
René ABANDI : - C’est ridicule. On a proclamé que 600 militaires rwandais combattaient dans nos rangs. Lorsque ces hommes de Bosco Ntaganda se sont réfugiés au Rwanda, tout la monde a vu que c’étaient des Congolais comme nous. Personne n’a pu établir la présence d’un seul Rwandais parmi ces réfugiés. C’étaient encore des accusations forgées à partir de rien.
AFRIKARABIA : - Pourtant ces accusations ne cessent pas… ?
René ABANDI : - Récemment, les FARDC (l’armée gouvernementale congolaise) a tiré des obus sur le Rwanda pour inciter l’armée rwandaise à entrer dans le conflit. Les gens qui ont ordonné ces tirs veulent provoquer le Rwanda, l’inciter à entrer en RDC.
AFRIKARABIA : - Votre mouvement, le M23, est la cible de toutes les critiques depuis que vous avez occupé la ville de Goma. Vous regrettez aujourd’hui cet épisode ?
René ABANDI : - Occuper Goma, c’était nous assurer un gage territorial pour nous permettre d’ouvrir un dialogue avec Kinshasa, afin de traiter les causes du conflit et les solutions à apporter.
AFRIKARABIA : - Ca n’a abouti qu’à vous marginaliser !
René ABANDI : - La négociation que nous voulions engager a été sabotée à New York. Avez-vous entendu cette déclaration selon laquelle "le M23 lèche ses plaies ?" Comme si nous étions assimilés à des chiens. Cette façon émotionnelle de nous diaboliser, de nous animaliser, est complètement contre-productive. Nous attendons mieux d’un pays comme la France : l’encouragement au dialogue. Si nous nous sommes révoltés, il y avait des raisons. Je ne connais pas une mission de l’ONU qui coûte aussi cher que la MONUSCO, en soutien au régime le plus corrompu du globe. Nous avons droit à un gouvernement plus responsable, l’ONU devait le comprendre.
AFRIKARABIA : - Est-ce vraiment votre base de négociations ? Vous voulez que Kabila se jette par la fenêtre du 10e étage ?
René ABANDI : - Nous ne demandons pas l’impossible. Notre tort, c’est d’avoir une faible voix. Les Etats membres de l’ONU ont les moyens d’imposer la voie de la paix à un régime corrompu et corrupteur. Face à cet appareil étatique gravement défaillant, personne n’accepte que nous élevions la voix. Nous sommes jugés sans débat.
AFRIKARABIA : - Concernant la justice, revendiquez-vous l’impunité pour tous ceux qui pourraient constituer des cibles de la justice internationale ?
René ABANDI : - Croyez-vous que les plus coupables soient chez nous ? Nous voulons une justice juste, pas une justice idéologique. Les criminels sont dans le camp du gouvernement.
AFRIKARABIA : - Et Bosco Ntaganda ?
René ABANDI : - Nous l’avons isolé. C’était déjà beaucoup. Mais après cette mesure, ils se sont dit « le M 23 et maintenant fragile, profitons-en pour les attaquer ».
AFRIKARABIA : - Vous réfutez avoir commis des atteintes graves aux droits de l’Homme ?
René ABANDI : - Le concept de droits de l’Homme est devenu un instrument de manipulation. On voit que ce droit est appliqué au cas par cas, en fonction d’intérêts diplomatiques ou autres de grandes puissances. Les milices gouvernementales et les armées étrangères comme les FDLR sont un problème sérieux de justice.
AFRIKARABIA : - Vous n’incluez pas dans la négociation un droit d’amnistie ou d’oubli en faveur du M23?
René ABANDI : - Non.
AFRIKARABIA : - Et vous ne revendiquez plus l’intégration du M23 dans les FARDC ?
René ABANDI : - Nous ne négocions que pour résoudre les causes profondes du conflit : la discrimination érigée en politique, la non-administration de notre peuple, pris en otage par un pouvoir corrompu qui refuse d’appliquer la décentralisation. Nos voulons aussi qu’on parle de la citoyenneté, du retour des réfugiés, de la reconstitution des villages au profit de tous ceux qui ont été obligés de les fuir. C’est ce que nous appelons promouvoir des « pôles d’attraction citoyenne ». Pour cela, il faut désarmer les milices et les armées étrangères.
AFRIKARABIA : - Ne craignez-vous pas de placer la barre trop haut, à la veille de la reprise des négociations ?
René ABANDI : - Il y a déjà des avancées de contexte. La délégation de Kinshasa s’est engagée à revenir à la table des négociations, de façon permanente et non plus à l’occasion… Conserver Kampala comme lieu de négociation semble acquis. S’il faut nous réunir à Goma, pourquoi pas ? Nous voulons sincèrement avancer. Les questions les plus sensibles ne seront pas abordées en public, elles vont se discuter en aparté. Il y a des questions pratiques à aborder comme la transformation du M23 en parti politique, la libération des prisonniers des uns et des autres.
AFRIKARABIA : - L’agenda des négociations comporte d’autres chapitres ?
René ABANDI : - Effectivement. Par exemple, nous souhaitons que le Kivu soit déclaré zone sinistrée, pour attirer l’attention de la communauté internationale et mobiliser les moyens d’un redressement économique et social, d’une reconstruction.
AFRIKARABIA : - On peut s’attendre à de bonnes nouvelles ?
René ABANDI : - Il y a eu un petit progrès depuis le communiqué du 23 septembre. Dans l’esprit de ce communiqué, la négociation peut s’accélérer. Il faut aussi éviter les manœuvres de certains. Le ministre des Affaires étrangères d’Ouganda a dénoncé le fait que, chaque fois que la négociation avance, la France et la Belgique nous tirent vers la boue. Mais nous avons confiance.
Propos recueillis par Jean-François DUPAQUIER - Afrikarabia
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