Rédigé par Zébédée Ruramira
La répression des faits criminels odieux est une nécessité ressentie à jamais par les victimes, toutes les personnes et organisations désireuses de la justice bien qu'elle se soit avérée souvent utopique. Les Etats et leurs juges subissent des pressions, intimidations et sont parfois victimes des enjeux dont ils ne sont pas à mesure de contrôler.
C'est dans ce cadre que les massacres de Gatumba commis essentiellement contre la population civile Banyamulenge restent jusqu'à l'heure actuelle impunis. Pareillement, Nsanzuwera fait observer qu'il faut déplorer que "plusieurs décennies d'impunité au Rwanda avaient persuadé des dirigeants extrémistes que n'importe quel crime, fut-il le plus odieux de l'odieux, serait toléré [1]".
Ces actes cruels et tragiques de Gatumba, qui ont été condamnés par l'ensemble de la communauté internationale, dont les instigateurs et auteurs demeurent encore libres et impunis, devraient être réprimés. Il est important de s'assurer que les criminels sont bien traduits en justice pour que les victimes puissent penser à panser leurs plaies et préjudices. La question qui se pose est celle de savoir le tribunal compétent de les juger compte tenu de leurs ramifications transnationales.
Ces massacres constituent-ils des crimes internationaux au sens du droit international pénal ou des crimes purement et simplement "ordinaires" de droit commun ?
L'analyse et les réponses à cette question conditionneront la détermination de la répression possible de ces massacres.
Avant de spécifier la qualification des faits constitutifs des massacres de Gatumba en droit international, il nous apparaît opportun de retracer leur brève historique et leur contexte factuel.
I. L'historique et le contexte factuel des massacres
Cette historique rappelle, après avoir retracé les causes immédiates, quels sont les victimes et les auteurs probables de ces massacres.
A) La cause immédiate du refuge
Vers le milieu de l'année 2004 "des militaires de l'armée nationale ont participé, à la fin du mois de mai, à des attaques de caractère ethnique contre des civils Banyamulenge de Bukavu, ville principale du Sud Kivu [2]".
Ces attaques avaient pour prétexte les affrontements entre militaires qui avaient éclaté le 26 mai 2004 à Bukavu chef lieu de la Province du Sud-Kivu et qui ont conduit la population Banyamulenge et la population non banyamulenge à quitter en masse la ville de Bukavu, d'Uvira et de la plaine de la Rusizi en République Démocratique du Congo.
Ces populations civiles, "les Banyamulenge, en particulier, fuirent par peur des représailles qui pouvaient être dirigées contre leur groupe pour la dissidence de Mutebutsi et Nkunda. Ce sont certains de ces Banyamulenge et un peu plus d'une dizaine de personnes appartenant à d'autres groupes ethniques, particulièrement ceux qui habitaient Uvira et ses environs, qui se sont réfugiés dans le camp de réfugiés de Gatumba [3]".
Ce centre de transit de Gatumba au Burundi placé sous l'assistance du HCR, est une zone qui se trouve entre la frontière avec la RDC, à quelque 3,4 kilomètres à l'ouest, et la capitale du Burundi, Bujumbura.
B) Les victimes
C'est dans la nuit du 13 au 14 août 2004 que les massacres de Gatumba ont été perpétrés contre ces réfugiés congolais dont la quasi-totalité des victimes - plus de 160 morts et plus de 130 blessés - dont des femmes et des enfants ont été assassinés à l'arme à feu et à l'arme blanche, certains ayant même été brûlés vifs dans leurs refuges de fortune - sont principalement de la tribu des Banyamulenge.
Signalons que parmi les victimes "s'y trouvaient d'autres familles non banyamulenge (babembe, fuliru, vira) qui ont trouvé la mort dans le même camp[4]" même si "la majorité des victimes étaient des femmes, des enfants et des bébés d'origine Banyamulenge [5]".
En dépit de la présence des victimes non Banyamulenge, le rapport de l'ONU indique qu'il est évident que "l'attaque visait manifestement les Banyamulenge et répondait de toute évidence à des motivations ethniques et politiques [6]".
Comme le présentent plusieurs rapports, il est clair que les victimes, mortes ou blessées, directes ou indirectes, sont les membres du groupe ethnique Banyamulenge qui ont été visés uniquement parce qu'uniquement ils sont de ce groupe. Les victimes étant très bien connues, il sied de s'attarder sur qui peuvent avoir été les commanditaires et les bourreaux de cette opération macabre.
C) Les auteurs probables
Selon le rapport conjoint de la Mission de l'Organisation des Nations Unies en République démocratique du Congo, de l'Opération des Nations Unies au Burundi et du Haut Commissariat des Nations Unies aux droits de l'homme, il y avait des signes avant-coureurs de ces massacres. Ce rapport indique que quelques jours avant le massacre des tracts avaient circulé "incitant à des attaques contre les Banyamulenge [7]".
Ces tracts auraient-ils été distribués par les auteurs probables ? Il est vrai que beaucoup de rapports et condamnations de ces massacres convergent en fustigeant une coalition du Parti burundais pour la libération du peuple hutu-Forces nationales de libération, des milices congolaises Maï-maï qui, désormais, faisaient partie de l'armée congolaise et les milices rwandaises Interahamwe, tous en provenance de la République Démocratique du Congo.
A titre illustratif, le rapport de l'ONU indique que l'équipe d'enquête a conclu que "les éléments dont on disposait paraissaient appuyer la thèse que les FNL ont participé à l'attaque. En effet, l'organisation s'est empressée de la revendiquer; certains aspects de l'agression rapportés par les témoins, en particulier les chants religieux, correspondent aux pratiques des FNL et les tueries ont eu lieu dans une zone d'activité des FNL [8]". Bizarrement, après avoir tergiversé sur sa responsabilité avec des déclarations d'aveu parfois contradictoires, "finalement, quelque trois semaines après l'attaque, une source des FNL a déclaré que les FNL n'avaient absolument pas participé à l'attaque mais en avaient publiquement assumé la responsabilité en échange d'armes que lui avait fournies le groupe congolais commanditaire du massacre [9]".
Le rapport de la FIDH indique que "selon des témoignages recueillis, les assaillants parlaient plusieurs langues dont le Kiswahili, le Kinyarwanda, le Kirundi et le Lingala. Ces actes criminels ont été revendiqués depuis par le mouvement rebelle burundais FNL-PALIPEHUTU de Rwasa Agathon [10]".
Cependant, même si les FNL ont revendiqué la responsabilité de ces massacres, tout paraît montrer qu'elles n'ont pas agi seules. Cela est justifié non seulement par les témoignages faisant allusion aux langues parlées par auteurs mais aussi par le rapprochement existant entre les groupes armés de la région et les doutes à propos des capacités des FNL à planifier et exécuter seules cette opération macabre sans soutien extérieur.
Le Président du Burundi au moment des faits, M. Domitien Ndayizeye, en visite au camp de Gatumba le 14 août, a condamné vigoureusement l'attaque en déclarant que " le Burundi avait été attaqué par un groupe armé venant de la RDC et ajouta que les premiers éléments de l'enquête et les témoignages des survivants indiquaient que les attaquants parlaient des langues congolaises, le kirundi et d'autres langues de la région [11]".
A cet effet, le rapport de l'ONU a constaté que "des groupes armés opérant dans l'est de la RDC et au Burundi et impliqués dans des massacres de civils avaient pour habitude de collaborer de manière ponctuelle en fonction d'intérêts financiers et aux fins de trafic d'armes sans guère se préoccuper de considérations politiques ou idéologiques [12]".
L'organisation internationale Amnesty International abonde dans le même sens en indiquant que "selon des informations en provenance de la communauté banyamulenge et des entretiens réalisés auprès d'anciens combattants du PALIPEHUTU-FNL, d'autres groupes politiques armés de la République démocratique du Congo (RDC) pourraient avoir pris part au massacre [13]".
Le rapport de l'ONU a noté les termes d'une déclaration publiée le 14 août par le RCD-Goma alléguant "que deux compagnies des FARDC conduites par un certain major Ekofo, adjoint du colonel Nyakabaka, commandant du théâtre d'opérations des plaines de la Ruzizi, était passé au Burundi dans la nuit du 13 août et s'était joint aux FNL pour perpétrer le massacre. Il déclarait en outre que l'attaque avait été planifiée par le commandant de la 10e région militaire des FARDC, le général Budja Mabe, afin d'empêcher les réfugiés Banyamulenge de rentrer en République démocratique du Congo, en particulier à Bukavu et Uvira [14]".
En abondant dans le même sens, Pole Institute affirme que "des témoignages concordants avaient établi que les assaillants avaient été une coalition de miliciens burundais FNL, de Mayi-Mayi congolais et de miliciens Interahamwe rwandais basés au Congo, qui avaient traversé la frontière vers le Burundi pour mener l'attaque [15]".
Le même Institut, faisant allusion au milicien FNL arrêté et interviewé par lui, témoigne que "sa description de l'itinéraire utilisé par les attaquants, des autres groupes rencontrés du côté du Congo, de la responsabilité de commandement lors de l'attaque, de la géographie et du déroulement de l'attaque, rendent extrêmement crédible sa participation aux massacres. … dit:que “les Mayi Mayi étaient full”, pour dire qu'ils étaient plus nombreux que son groupe FNL [16]".
Mêlant les génocidaires rwandais, Human Rights Watch indique que "pour certains survivants et les autorités burundaises, la nature ״génocidaire״ du massacre de Gatumba emportait automatiquement une nécessaire implication de rebelles rwandais ״ Interahamwe״ dans le massacre perpétré sur les réfugiés [17]".
La motivation de la participation criminelle de ces groupes armés opérant dans l'est de la RDC et dans la région frontalière du Burundi à ces massacres dirigés contre les Banyamulenge peut être le fait qu'ils "nourrissent de vifs ressentiments à l'égard de ce groupe et d'autres pourraient avoir des raisons politiques d'empêcher son retour en RDC [18]".
D) Les commanditaires probables
Bien que les groupes présumés être des probables auteurs ayant exécuté les massacres aient été cités, il se pose une question persistante relativement aux organisateurs et aux commanditaires qui n'ont pas pu être clairement identifiés. Il est important de signaler à ce sujet que le rapport de Human Rights Watch assure que "dans les jours qui ont suivi le massacre de Gatumba, le chef d'état major de l'armée burundaise, ainsi que le président et plusieurs autres autorités dirigeantes du Rwanda, ont menacé le Congo de guerre, reprochant à une partie du gouvernement et de l'armée congolais au moins une négligence, voire même une participation délibérée dans le massacre [19]".
Pole Institute arrive à affirmer que "des éléments divers provenant de différentes sources, notamment le premier rapport des Nations Unies, mais aussi les témoignages concordants des personnes interrogées par nous, soulignent des faits et observations qui pointent en direction d'une planification et de la responsabilité d'éléments de la 10ème région militaire congolaise qui intègre des miliciens Mayi Mayi congolais mais aussi des Interahamwe rwandais [20]".
Ce qui laisse croire qu'en plus des auteurs présumés indiqués, le massacre de Gatumba aurait eu le concours dans la conception, la planification et la préparation, sinon la bénédiction d'autres organisations, entités ou organes, étatiques ou non.
Le Tribunal pénal international pour le Rwanda a, à cet effet, jugé, relativement aux actes de tueries, qu'elles "engagent bien, …, la responsabilité pénale individuelle de l'Accusé pour avoir ordonné, commis ou de toute autre manière aidé et encouragé à préparer ou exécuter des meurtres et des atteintes graves à l'intégrité physique et mentale de membres du groupe tutsi [21]".
La responsabilité directe ou indirecte des uns et des autres dans les massacres de Gatumba devrait être ressortie et éclairée par une enquête judiciaire approfondie.
Après cette brève historique des massacres affichant les victimes et les auteurs en puissance, il convient de faire un examen juridique de leur qualification en droit international.
II. LA QUALIFICATION DES FAITS EN DROIT INTERNATIONAL
Il est question d'interroger le droit international si, au regard de la doctrine et de la jurisprudence, les massacres de Gatumba peuvent constituer des crimes internationaux : crime de génocide ou crime contre l'humanité.
A) Les massacres de Gatumba et le crime de génocide
L'examen de la nature juridique des massacres de Gatumba par rapport au crime de génocide, nous oblige de passer par un petit rappel du contenu cette notion avant d'évaluer ses éléments constitutifs.
1°) La notion de crime de génocide et les massacres de Gatumba
Il ne s'agit pas de faire une étude détaillée de la notion du crime de génocide mais plutôt d'une confrontation des massacres de Gatumba au sens et à la définition donnés au crime de génocide. Autrement, cet exercice nécessitera que nous passions par un examen succinct de la notion de crime de génocide en ressortissant un parallélisme avec les faits de ces massacres.
Il n'y a aucun doute qu'en droit international, "c'est la Convention pour la répression et la prévention du crime de génocide … qui a marqué, à la suite du procès de Nuremberg, la consécration du terme [22]".
Comme il ressort d'une jurisprudence bien établie, cette convention contient des "principes qui sont à la base de la convention sont des principes reconnus par les nations civilisées comme obligeant les Etats même en dehors de tout lien conventionnel [23]". De ce fait, le crime de génocide est "qualifié de crime des crimes [24]" revêtant ainsi le caractère du crime international et faisant désormais partie du droit international coutumier.
En conséquence, "soustraite du domaine réservé, l'incrimination autorise tous les Etats à traduire en justice les personnes présumées responsables du crime de génocide quel que soit le lieu de perpétration de l'infraction ou la nationalité de l'auteur et de la victime, les Etats pouvant se prévaloir de leur compétence universelle en vertu du droit international général (malgré les termes restrictifs de la Convention de 1948) [25]".
2°) Les éléments constitutifs et les massacres de Gatumba
Les massacres de Gatumba seront analysés corrélativement aux éléments matériel et mental du crime de génocide.
a) L'élément matériel
S'agissant de l'élément matériel du crime de génocide, il consiste en "la destruction d'un groupe déterminé par le biais de massacres organisés et de mesures à grande échelle portant gravement atteinte aux droits fondamentaux des membres de ce groupe [26]".
Pour le créateur du terme de génocide, Raphaël Lemkin, il "ne veut cependant pas dire la destruction immédiate d'une nation ; il se réfère plutôt à une politique se matérialisant par un ensemble de faits qui tendent à la destruction d'individus non à titre individuel mais parce qu'ils sont membres de groupes donnés [27]".
Il n'y a, à notre avis, aucun doute que les massacres de Gatumba constituent des actes bien organisés ayant porté atteinte aux droits fondamentaux des membres du groupe ethnique Banyamulenge.
La Cour internationale de justice a considéré, au sujet des meurtres qui ont été perpétrés sur le territoire de la Bosnie-Herzégovine, que "les éléments de preuve qui ont été présentés démontrent que les victimes étaient dans leur grande majorité des membres du groupe protégé, ce qui conduit à penser qu'elles ont pu être prises pour cible de manière systématique [28]". La Cour a, en conclusion, estimé "qu'il a été démontré par des éléments de preuve concluants que des meurtres de membres du groupe protégé ont été commis de façon massive et que l'élément matériel, tel que défini au litt. a) de l'article II de la Convention, est par conséquent établi [29]".
Les massacres de Gatumba ne constituent pas moins des meurtres et des atteintes graves à l'intégrité physique des membres d'un groupe protégé par la Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide.
b) L'élément mental
Quant à l'élément mental du crime de génocide, "la norme incriminant le génocide dispose expressément que l'accusé doit nourrir une intention spécifique, soit celle de détruire en tout ou en partie un groupe donné comme tel [30]".
Ce qui distingue le crime de génocide d'autres crimes "ce qu'il comporte un dol spécial, ou dolus specialis. Le dol spécial d'un crime est l'intention précise, requise comme élément constitutif du crime, qui exige que le criminel ait nettement cherché à provoquer le résultat incriminé. Dès lors, le dol spécial du crime de génocide réside dans l'intention de détruire, en tout ou en partie, un groupe national, ethnique, racial ou religieux, comme tel [31]" peu importe le mobile qui sous-tend le crime car "l'intention et le mobile ne constituent pas des notions interchangeables [32]".
Au regard du texte même de la Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide, « il n'est pas nécessaire que l'auteur ait eu l'intention de détruire le groupe en entier ; l'intention de le détruire en partie suffit [33]".
Ainsi, l'intention de la destruction de tout ou partie du groupe ethnique donné suffit-il pour déterminer s'il y a eu ou pas génocide.
Cependant, il existe une controverse quant à l'étendue exacte de la destruction. Un acte criminel, remplissant les autres conditions énoncées dans l'article 2 de la Convention, commis sur une seule personne, pourrait-il être considéré comme un génocide ?
Une étude menée sur la question de la prévention et de la répression du crime de génocide, par le Rapporteur spécial N. Ruhashyankiko, révèle que lors de l'élaboration de la Convention, "it was argued that genocide existed as soon as an individual became the victim of an act of genocide ; if there was intent to commit the crime, genocide existed even if only a single individual was the victim. The use of the expression "members of the group" in the second paragraph of the article (subparagraphs (a) and (b) would indicate that genocide occured as soon as a member of the group was attacked [34]».
Des auteurs sont unanimes à considérer que la Convention peut s'interpréter comme s'appliquant aux cas d'un "génocide individuel [35]". Elle cite notamment le point de vue d'un auteur qui pense que les mots "en partie", pris en complément des mots "membres du groupe" permettent de déduire que la Convention couvrirait même un acte d'un génocide individuel [36].
Ce point de vue auquel nous ne pouvons nous rallier est également défendu par J. Verhoeven. Selon celui-ci, "n'y eut-il qu'une victime, celui-ci (le crime de génocide) peut être établi si l'intention a été de détruire (à plus long terme) le groupe dont elle est membre ; y aurait-il des milliers de victimes, il n'y a pas de génocide si telle n'a pas été l'intention du criminel[37]".
Comme le note un auteur, "la spécificité du génocide ne résulte-t-elle ni de l'ampleur du massacre, ni de la cruauté des tueries, ni des motifs du forfait, mais uniquement de l'intention : la destruction du groupe[38]". Il faudrait y joindre : visé "comme tel".
La condition "visé comme tel" "ne s'analyse pas en termes de "victimes exclusives" comme semble l'indiquer le Rapporteur spécial, mais plutôt en termes de "victimes principales", soit celles ciblées prioritairement versus celles que l'on pourrait appeler "accessoires" ou "collatérales", selon le terme aujourd'hui consacré. Ces dernières ne sont touchées qu'incidemment [39]".
Il n'y a pas d'ambiguïté que le massacre de Gatumba ait été commis dans l'intention de tuer les membres d'un groupe ethnique bien déterminé comme tel.
La question difficile à établir qui reste posée est celle de l'intention de détruire en tout ou en partie le groupe ethnique Banyamulenge.
Human Rights Watch prouve que "les attaquants n'ont visé que les Banyamulenge et ceux qui se trouvaient dans les tentes avec eux [40]". Sans clairement affirmer la nature génocidaire des massacres de Gatumba, Il note que "le massacre de Gatumba, comme d'autres à Bukavu, a clairement été commis sur une base ethnique. Le reconnaître, c'est aussi être conscient que d'autres massacres peuvent suivre, dirigé contre un groupe ethnique ou un autre. Dans un tel contexte, il est moins important d'aboutir à une qualification légaliste de la nature du crime qui a été commis, que d'identifier ses auteurs et de les punir [41]".
Parlant du génocide des Tutsi, la Chambre du TPIR affirme qu'« il ne fait aucun doute que, de par leur ampleur incontestable, leur caractère systématique et leur atrocité, les massacres visaient l'extermination du groupe qui était ciblé[42]" et précise à ce propos que les Tutsi étaient ciblés "spécialement en raison de leur appartenance au groupe tutsi, et non pas parce qu'ils étaient des combattants du FPR. En tout état de cause, les enfants et les femmes enceintes tutsis ne sauraient par nature relever de la catégorie de combattants[43]".
En l'absence de l'intention spécifique de détruire en tout ou en partie les membres d'un groupe protégé, il ne peut pas être établi qu'il y a eu crime de génocide.
C'est dans ce sens que la Cour internationale de justice a estimé, s'agissant des meurtres commis sur territoire de la Bosnie-Herzégovine, qu' "au vu des éléments de preuve qui lui ont été présentés, la Cour n'est cependant pas convaincue qu'il ait été établi de façon concluante que les meurtres de masse de membres du groupe protégé ont été commis avec l'intention spécifique (dolus specialis), de la part de leurs auteurs, de détruire, en tout ou en partie, le groupe comme tel… qu'il n'a pas été établi par le demandeur que ces meurtres constituaient des actes de génocide prohibés par la Convention [44]". Selon la Cour, ces meurtres peuvent, par contre, constituer des crimes de guerre et des crimes contre l'humanité.
Une autre question à laquelle il faut s'attarder un peu est de savoir si cette destruction totale ou partielle doit être d'une ampleur exceptionnelle pour que le crime soit qualifié de génocide.
Il est difficile de fixer de façon objective le seuil quantitatif pour déterminer si oui ou non il y a eu génocide. Il est certain que la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide elle-même "ne fixe aucun seuil quantitatif. Un seul meurtre, une seule atteinte à l'intégrité physique d'un membre du groupe seraient suffisants, pourvu qu'ils soient accompagnés de l'intention spécifique de leur auteur, leur concrétisation devant être objectivement susceptible d'engendrer la destruction totale ou partielle du groupe comme tel [45]".
Pourquoi ne pas considérer qu'il y a eu génocide dès que l'intention mentale de détruire totalement ou partiellement un groupe national, ethnique, racial ou religieux est clairement établie et faire en sorte que "toute personne ayant commis un génocide engage sa responsabilité pénale individuelle sur le plan international et … susceptible d'être poursuivie pour ce crime, quelle que soit sa position et sa qualité pour agir - à titre privé ou en tant qu'organe d'un Etat [46]" ?
C'est ce que dit la Cour Internationale de Justice en estimant "qu'il suffit d'examiner les faits qui éclaireraient la question de l'intention ou fourniraient des exemples d'actes dont le demandeur prétend qu'ils ont été commis à l'encontre de membres du groupe et qui revêtiraient un caractère systématique dont pourrait se déduire l'existence d'une intention spécifique (dolus specialis)[47] »
Il est incontestable que les victimes étaient tous Banyamulenge, exception faite de quelques réfugiés d'origine Babembe, Bavira ou Bafulero qui avaient fui à cause de leur alliance politique avec le RCD-Goma ou de liens personnels avec les Banyamulenge. Ces victimes "auront commis la seule faute d'être des Tutsi [48]".
Qu'est-ce qui interdirait d'admettre, comme l'affirme Pole Institute, que "le massacre de Gatumba, selon toutes informations dont nous disposons et selon les qualificatifs lui afférés par les rapports et observations publiés, est bel et bien un acte de génocide visant l'extermination d'une communauté précise. Il convient de le qualifier ainsi plutôt que de le noyer dans un magma de théories de conspiration qui pourraient frôler le négationnisme que les extrémistes de tout bord sont prêts à exploiter [49]".
B) Les massacres de Gatumba et les crimes contre l'humanité
Nous aborderons dans ce point, d'une part, la notion de crime contre l'humanité avant de confronter, d'autre part, les éléments constitutifs aux massacres de Gatumba.
1°) La notion de crime contre l'humanité
Il n'est pas question de définir tout le contenu et de retracer l'évolution historique de la définition des crimes contre l'humanité. Nous ne pourrons y recourir que pour vérifier et déterminer si les massacres de Gatumba peuvent être considérés comme des crimes contre l'humanité.
La dernière évolution de la notion de crime contre l'humanité est contenue dans le du Statut de la Cour pénale internationale aux termes duquel "on entend par crime contre l'humanité l'un quelconque des actes ci-après lorsqu'il est commis dans le cadre d'une attaque généralisée ou systématique lancée contre toute population civile et en connaissance de cette attaque [50]".
Les crimes contre l'humanité, punissables qu'ils aient ou non été commis au cours d'un conflit armé international ou non international, "sont dirigés contre une population civile quelle qu'elle soit [51]".
Ils ont un élément matériel et un élément moral qui les définissent et les déterminent.
2°) L'élément matériel et l'élément moral
Les crimes contre l'humanité sont des infractions gravissimes visant des atteintes à la vie et à l'intégrité physique. De ce fait, ils "bafouent les droits élémentaires d'individus pris collectivement [52]".
Ils sont matérialisés par plusieurs actes notamment le meurtre qui "doit être commis dans le cadre d'une attaque généralisée ou systématique contre une population civile. La victime doit avoir été tuée pour un motif discriminatoire inspiré par son appartenance nationale, ethnique, raciale, politique ou religieuse [53]".
La doctrine semble partagée sur l'appréciation du contenu de l'élément moral des crimes contre l'humanité.
Une partie considère que les crimes contre l'humanité s'apprécient par rapport à l'auteur de l'infraction mais aussi au regard des victimes. Par rapport à l'auteur "il est nécessaire que celui-ci agisse en application d'une politique, qu'il connaît et à laquelle il collabore [54]".
Quant aux victimes, "celles-ci doivent appartenir à une communauté déterminée - identifiée sur base de critères précis - et c'est en raison de cette appartenance qu'est pratiquée une politique d'exterminations ou de persécutions systématiques [55]". Cette qualité de la victime "constitue l'essence même des crimes contre l'humanité, une condition non seulement absolue, mais …aussi générale [56]".
Il ressort du Statut du Tribunal pénal international pour le Rwanda [57] et de la jurisprudence que "les actes inhumains commis contre la population civile doivent avoir visé les victimes ײen raison de leur appartenance nationale, politique, ethnique, raciale ou religieuse [58]».
Une autre partie de la doctrine qualifie le crime contre l'humanité non pas par "la qualité des victimes mais bien des moyens mis en oeuvre (le caractère systématique et l'ampleur des actes criminels) et surtout du contexte dans lequel il s'inscrit (l'organisation politique) que le crime contre l'humanité tire sa spécificité [59]".
Selon le Statut de la CPI, il faut entendre, par attaque dirigée contre une population civile, "le comportement qui consiste en la commission multiple d'actes visés au paragraphe 1 à l'encontre d'une population civile quelconque, en application ou dans la poursuite de la politique d'un État ou d'une organisation ayant pour but une telle attaque [60]".
Selon une jurisprudence bien établie, "le caractère "généralisé" résulte du fait que l'acte présente un caractère massif, fréquent, et que, mené collectivement, il revêt une gravité considérable et est dirigé contre une multiplicité de victimes. Le caractère "systématique" tient, quant à lui, au fait que l'acte est soigneusement organisé selon un modèle régulier en exécution d'une politique concertée mettant en oeuvre des moyens publics ou privés considérables [61]".
Il faut dès à présent noter qu'il "n'est pas exigé qu'il revête ce double caractère [62]" : caractère systématique ou généralisé. Pour la détermination du crime contre l'humanité, il suffit que l'un des deux caractères se réalise pour l'établir.
La jurisprudence du Tribunal international pour le Rwanda semble mettre en exergue les deux tendances.
Réprimant les crimes contre l'humanité commis au Rwanda en 1994, la Chambre du TPIR a retenu le crime contre l'humanité en jugeant "qu'en ordonnant l'assassinat de Simon Mutijima, Thaddée Uwilingiyimana et Jean Chrysostome, l'Accusé était, au-delà de tout doute raisonnable, animé de l'intention spécifique de leur donner la mort, dans le cadre d'une attaque généralisée ou systématique dirigée contre une population civile du Rwanda, en raison de son appartenance ethnique [63]". Dans la même affaire, la même Chambre du TPIR a considéré qu'elle "est convaincu au-delà de tout doute raisonnable que, à la date 19 avril 1994, une attaque généralisée et systématique était dirigée contre la population civile du Rwanda et que le comportement de l'accusé s'inscrivait dans le cadre de cette attaque [64]".
A ce propos, le rapport de l'ONU témoigne que "le massacre de Gatumba a été un crime perpétré contre des civils appartenant à un groupe ethnique donné dans une région marquée systématiquement depuis un demi-siècle par des crimes de guerre, des crimes contre l'humanité et des crimes de génocide [65]".
Il n'y a pas de doute que l'attaque de Gatumba était minutieusement organisée et soigneusement exécutée et qu'elle était dirigée contre une population civile pour des motifs discriminatoires fondés essentiellement sur l'appartenance ethnique.
Condamnant vivement ce massacre, l'ONUB "rappelle avec la plus grande fermeté aux auteurs de ces actes barbares dont le Forces Nationales de Libération (FNL) d'Agathon Rwasa qui a revendiqué l'attaque, qu'ils répondront de leurs crimes contre l'Humanité [66]".
En conséquence, faisant allusion à la jurisprudence de la Cour de cassation française de 1983 "les crimes contre l'humanité ne relèvent pas seulement du droit interne français, mais encore d'un ordre répressif international, régulièrement intégré à l'ordre interne français, auquel la notion de frontière et les règles extraditionnelles qui en découlent sont fondamentalement étrangères [67]".
Une certaine doctrine considère que le champ d'application du crime de génocide se limite aux dirigeants de l'Etat ou aux autorités gouvernementales. Herzog définit le crime contre l'humanité comme une "infraction de droit commun commise contre un individu, avec le mobile d'attenter à la personne humaine dans l'exécution d'une politique étatique [68]".
S'il était établi que les massacres de Gatumba contre la population civile de l'ethnie Banyamulenge constituent des crimes contre l'humanité dans lesquels les autorités étatiques avaient trempé, elles seraient poursuivies à ce titre.
Ainsi, une autre partie de la doctrine notamment Graven pense-t-elle que "c'est une singulière erreur de perspective… de vouloir affirmer et vouloir faire admette que l'Etat seul peut être l'auteur de ce crime du droit des gens [69]". Ce qui signifie que les mouvements rebelles qui contrôlent une partie du pays ou qui mettent en oeuvre une politique de terreur telles que les FNL et autres en ce qui concerne les massacres de Gatumba peuvent être responsables des crimes contre l'humanité.
III. La Conclusion
La commission des crimes gravissimes tels que le crime de génocide et les crimes contre l'humanité obligent les Etats de traduire en justice et de juger les responsables devant leurs tribunaux internes.
En effet, le droit international conventionnel et coutumier reconnaît aux Etats une compétence universelle relativement à des crimes singulièrement graves qui affectent non seulement les individus et les Etats mais aussi l'humanité toute entière.
La compétence universelle se définit comme la compétence exercée par un État qui poursuit les auteurs de certains crimes, quel que soit le lieu où le crime a été commis, et sans égard à la nationalité des auteurs ou des victimes. Comme il ressort d'une jurisprudence bien établie, la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide contient des "principes qui sont à la base de la convention sont des principes reconnus par les nations civilisées comme obligeant les Etats même en dehors de tout lien conventionnel [70]".
De ce fait, ces crimes notamment le crime de génocide sont qualifiés de crime des crimes revêtant ainsi le caractère du crime international et faisant désormais partie du droit international coutumier.
En conséquence, détournée du domaine pouvant faire objet des réserves en droit international, la commission de ces crimes autorise tous les Etats à traduire en justice les personnes présumées responsables quel que soit le lieu de perpétration de l'infraction ou la nationalité de l'auteur et de la victime. Cette compétence implique que les Etats sont en droit de poursuivre, de juger et de condamner un individu accusé de ces crimes indépendamment de tout lien conventionnel ou territorial. Le caractère coutumier de cette compétence universelle du juge en matière de crimes contre l'humanité résulte également de diverses résolutions adoptées par l'Assemblée générale des Nations unies dont la résolution 3074 (XXVIII) du 3 décembre 1973 intitulée "Principes de la coopération internationale en ce qui concerne le dépistage, l'arrestation, l'extradition et le châtiment des individus coupables de crimes de guerre et de crimes contre l'humanité" qui rappelle dans son premier principe que: "Les crimes de guerre et les crimes contre l'humanité, où qu'ils aient été commis et quel que soit le moment où ils ont été commis, doivent faire l'objet d'une enquête, et les individus contre lesquels il existe des preuves établissant qu'ils ont commis de tels crimes doivent être recherchés, arrêtés, traduits en justice et, s'ils sont reconnus coupables, châtiés."
Cette résolution rappelle l'obligation "aut dedere, aut judicare", c'est-à-dire l'obligation pour les Etats de "poursuivre ou extrader" les auteurs de crimes contre l'humanité.
Cette obligation implique que chaque État a le droit de juger ses propres ressortissants pour les crimes de guerre et les crimes contre l'humanité et que "les États coopèrent pour tout ce qui touche à l'extradition de ces individus[71]".
La répression des massacres de Gatumba aurait non seulement pour seul objectif de punir les responsables mais aussi celui de permettre aux victimes - individuellement ou collectivement - "d'actes ou d'omissions constituant des violations flagrantes du droit international des droits de l'homme ou des violations graves du droit international humanitaire [72]" d'avoir droit à un recours judiciaire et à une indemnisation adéquate, effective, rapide et à la mesure de la gravité des violation et des préjudices subis.
Cette indemnisation est le moindre mal d'autant plus que la restitution, en tant que mode de réparation, qui devrait, dans la mesure du possible, rétablir les victimes dans leur situation originale qui existait avant que les massacres ne se soient produits est impossible.
par RURAMIRA Bizimana Zébédée
Juriste diplômé d'études spécialisées en droit international et européen
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